Il est pratique courante pour les entreprises en technologie d’inviter les journalistes a des événements et des lancements à l’étranger. Huawei est une compagnie qui a le vent dans les voiles. En plus d’être un gros joueur dans le domaine de la téléphonie 5G, elle offre depuis peu ses appareils haut de gamme au Canada. Elle est donc en mode séduction auprès des journalistes et des influenceurs, malgré les accusations d’espionnage des Américains. C’est dans ce contexte que j’ai été invité à visiter le siège social à Shenzhen, en Chine. Et j’ai appris beaucoup de choses intéressantes!
J’étais bien conscient que l’invitation est dans le cadre d’une opération de relations publiques. Avec un petit groupe de journalistes, j’ai pu voir leurs laboratoires aux bureaux impeccables, traverser le spectaculaire campus dont l’architecture est inspirée de villes européennes, observer une chaîne d’assemblage de téléphones presque entièrement automatisée. J’ai même pu rencontrer Guo Ping, le président du conseil de direction, et assister à la conférence de presse où Huawei a répliqué fermement aux accusations américaines!
Rien de tout ça ne peut prouver que la compagnie ne nous espionne pas.
Mais pendant la visite, j’ai entendu une version intéressante de la situation actuelle. Mais j’avoue que je cherche toujours les incohérences dans les déclarations de Huawei. Et au delà des accusations américaines, on attend toujours une preuve que Huawei espionne vraiment les utilisateurs.
Huawei aurait pu être une compagnie canadienne
Il y a une dizaine d’année, la tendance était aux fusions chez les équipementiers. Alcatel et Lucent (2006), Siemens et Nokia (2013)… Pour ne pas être en reste, Huawei a eu de longues négociations avec Nortel. Guo Ping, le président du conseil de direction actuel, était le négociateur principal!
Mais Nortel a décidé de rompre les échanges.
AJOUT/Précision: Au même moment, il a été révélé que Nortel aurait été victime de cyberespionnage par la Chine.
Il est quand même fascinant d’imaginer que Huawei aurait pu être une compagnie en partie sous contrôle canadien…
Des installations à l’épreuve des rats
Les compagnies ont des histoires qui révèlent leur philosophie. Au début des années 80, il n’y avait que 22 téléphones pour 100 000 10 000 personnes en Chine rurale! (Difficile pour un nord-américain d’imaginer le saut technologique effectué par la Chine en 40 ans!). Les premiers routeurs téléphoniques de Huawei n’étaient pas très fiables, mais la compagnie se faisait un point d’honneur de régler rapidement les problèmes, quels qu’ils soient. Les concurrents avaient tendance à blâmer les clients: « Votre salle de routeurs est pleines de rats! ». Huawei a plutôt amélioré ses routeurs pour qu’ils soient plus résistants… aux rats.
On peut imaginer l’avantage de cette capacité d’adaptation lors de déploiement d’installations dans des pays moins développés, où les salles de serveurs ne sont pas toujours propres et climatisées. On a aussi mentionné que Huawei ne refusait pas de défis, tout aussi complexes qu’ils soient. Ce sont les équipements de Huawei qui permettent de se connecter à internet sur l’Everest!
L’importance de la collaboration en cybersécurité
Le clou de la visite était le Cyber Security Lab, où j’ai pu visiter la pièce d’où on espionne les utilisateurs. (C’est une blague.)
Dans une présentation (dans une pièce où on ne pouvait pas filmer, question de sécurité), on a comparé la sécurité informatique à la conduite automobile. Au volant, notre sécurité dépend non seulement de notre façon de conduire, mais aussi celle des autres, de la qualité des cours, des règles, de l’état de la route… Chaque élément contribue à la sécurité de tous. L’idéal, c’est une approche ouverte, « many eyes/many hands »: plus il y a de vérifications, plus y a de contributions, plus on augmente le niveau de confiance.
La compagnie collabore avec plusieurs agences, incluant le CST (Centre de la sécurité des télécommunications) au Canada. Tous l’équipement de Huawei sont soumis à une batterie de tests; un directeur a un droit de veto sur le déploiement des produits si jamais une faille de sécurité est trouvée.
Huawei met aussi des laboratoires à la disposition des clients pour tester les équipements. M. Ping a invité les autres vendeurs d’équipement à se soumettre aux même tests… (Huawei serait la seule entreprise qui se soumet aux tests du CSE et ceux des opérateurs.)
Sur le mur du laboratoire de cybersécurité, il y avait le slogan « Turn security into a core competitive edge of Huawei products, solutions and services. »
D’ailleurs, un mot d’ordre est revenu pendant ma visite: l’importance pour Huawei de respecter les lois locales.
(Et parenthèse: laisser volontairement un accès dérobé (backdoor) dans ses produits pour faciliter l’espionnage est une très mauvaise idée côté sécurité, puisqu’un adversaire ou un pirate peut aussi l’utiliser.)
10% minimum en recherche et développement
Une autre règle importante chez Huawei: investir de façon constante en recherche et développement. Un minimum de 10% (souvent plus) du budget annuel de l’entreprise y est consacré.
En comparaison, ce sera environ 2,2% pour Apple (!) et 7% pour Samsung. On pourrait débattre que ce pourcentage n’est pas directement lié à l’innovation, et que ce qui est important est le montant des investissements, pas le pourcentage des revenus.
Autre facteur: comme les actionnaires de la compagnie sont des employés, il n’y a pas de pression pour obtenir des résultats financiers à court terme. Ce qui est important, c’est que l’entreprise dure! Quand les ventes vont moins bien, plutôt que de faire des mises à pied, on invite les employés sur le terrain à se joindre aux efforts pour améliorer les produits.
Pendant la table ronde, M. Ping a mentionné qu’on doit investir plus pour encourager les prochains Albert Einstein. « Les États-Unis étaient les meneurs dans le domaine, mais ce n’est plus le cas. Arriver à des percées technologiques demande beaucoup de temps pour le meneur, et ceux qui le suivent le rattrapent vite. » Il ajoute que si Huawei veut survivre malgré les attaques des États-Unis, elle veut aussi contribuer davantage aux percées technologiques dans le futur.
Il y a plusieurs laboratoires de R&D de Huawei dans le monde, y compris à Ottawa et Toronto.
L’importance de la continuité des affaires
La continuité des affaires – offrir des services sans interruption – est une valeur profonde chez Huawei.
L’entreprise a pris son envol en choisissant de fabriquer ses propres équipements pour ne pas dépendre de l’approvisionnement de fournisseurs étrangers. La présidence du conseil de direction se fait en rotation planifée, pour assurer une gestion à long terme.
Ne plus avoir accès aux services Google est un problème de continuité pour Huawei. Selon M. Guo Ping « Si je crois que la chaîne d’approvisionnement peut être rompue de façon arbitraire, les gens ne feront plus confiance aux compagnies américaines, et ces compagnies vont aussi être affectées. » Il ajoute que « Si nos clients ne peuvent faire confiance à un pays (les États-Unis), est-ce que ça va mener à une croissance rapide d’autres options? »
Huawei préférerait faire affaire avec Google et Microsoft. Mais elle est prête à proposer une solution alternative.
Ark OS?
Le laboratoire d’intelligence artificielle de Huawei s’appelle Noah’s Ark (l’arche de Noé). On nous a dit que c’était pour l’image du bateau prêt à partir en cas de déluge. Je ne serais pas étonné qu’Ark OS soit le nom du système d’exploitation alternatif. Ne plus avoir accès accès aux services Google est tout un déluge!
P.
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